vendredi 4 septembre 2015

Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski

 
Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski (1983)
Titre original : Erection, éjaculations, exhibitions and
general tales of ordinary Madness
 
 Genre : Nouvelles
 
 

En octobre 1978, Charles Bukowski se rend en France pour participer à l’émission littéraire Apostrophes de Bernard Pivot. Il boira en direct les deux bouteilles de vin blanc qui lui avait été fournies par la chaîne, "sèmera la pagaille", et devra être évacué du plateau. 
 
Selon moi, ce bon vieux Charles n'a pas dérangé le déroulement de l'émission. Sans occulter le fait de son état alcoolisé, il n'a tenu aucune vulgarité. Il a seulement tenté de s'exprimer et de répondre aux questions qui lui ont été posées avec un soupçon de provocation, ce qui a  déplu aux codes de "bonnes conduites". Le propos qui va suivre, illustre bien le caractère décalé et hors norme de Bukowski. Son intelligence est non pas de ne pas rentrer dans le rang mais  d'interroger les règles établis qui le compose.
 
Dans un entretien que Charles Bukowski a accordé à Jean-Fançois Duval en 1986, concernant son passage dans l'émission  :    
Charles Bukowski. Ha ! Ha ! Ha ! Je me fous toujours dans des situations pas possibles. Mais quelle coterie de snobs ! C'était vraiment trop pour moi. Vraiment trop de snobisme littéraire. Je ne supporte pas ça. J'aurais dû le savoir. J'avais pensé que la barrière des langues rendrait peut-être les choses plus faciles. Mais non, c'était tellement guindé. Les questions étaient littéraires, raffinées. Il n'y avait pas d'air, c'était irrespirable. Et vous ne pouviez ressentir aucune bonté, pas la moindre parcelle de bonté. Il y avait seulement des gens assis en rond en train de parler de leurs bouquins ! C'était horrible... Je suis devenu dingue.        

   
     Charles Bukowski est né en 1920 en Allemagne et mort en 1994 en Californie. Agé de deux ans, ses parents émigrent aux Etats-Unis. Charles Bukowski a vécu une enfance douloureuse, il a subit la violence de son père jusqu’à le mettre K-O lui-même à l’âge de 17 ans. Il quitte ensuite le domicile familial pour vivre dans des hôtels et autres endroits où le confort n’est pas de mise. L’adolescent flirte avec la bouteille, la « gnole » comme il l’habitude de l’appeler. C’est dans l’ivresse de la boisson et de la misère que Charles trouve son inspiration pour écrire. Pour vivre, il enchaine les petits boulots dont il se fait renvoyer rapidement. A 40 ans il publie, il publie son premier livre, un recueil de poèmes, intitulé Flower, Fist and Bestial Wail (Fleur, Poing et Gémissement Bestial)

Il fut postier pendant 11 années au bout desquelles il démissionnera à 49 ans, pour se consacrer à l’écriture. La boisson et sa radio comme acolytes. Charles Bukoski est souvent associé à la « Beat Génération », il s’inspire d’ailleurs des œuvres d’Ernest Hemingway, mais il n’en est rien. Charles Bukowski fait partie du genre Bukowski. Il est son propre style, sa propre écriture, son propre mouvement d’âme. Il se raconte dans ses récits sans pudeur ni retenu. Charles Bukowski ne rentre dans aucune catégorie, dans aucun genre et c’est ce qui fait de lui un auteur hors-norme. D’ailleurs il n’aime pas vraiment les conventions. Même avec la notoriété, il refuse d’intégrer le monde littéraire qu’il trouve ennuyeux et snob. Charles Bukowski ne s’explique pas il se lit.
     Dans « Conte de la folie ordinaire », Charles Bukowski parle de son quotidien avec les femmes, le vin et l’écriture. Il confie ses angoisses, son amour pour les femmes, ses désirs sexuels, sa misère de vivre et d’aimer, son mépris pour les autres et pour lui-même. Ces nouvelles sont découpées en vingt-et-un portraits au vitriol, à l’état brut. Bukowski ne mâche pas ses mots, il éjacule ce qu’il a dans les tripes sans crainte de heurter le lecteur et c’est ce qui le rend attachant, fascinant, jubilatoire. Son indélicatesse virulente pour envoyer valser les conventions, son sexisme dérangeant, son franc parlé déroutant, sa provocation constante, sa tendresse animale, c’est tout ça Bukowski. Un écrivain touchant, admiratif qui se met à nu, sans se cacher derrière des allusions, des subtilités, des faux-semblants. Avec Bukowski on ne sait jamais à quoi s’attendre, il nous prend au tournant et nous entraine dans ses aventures lyriques avec la gnôle, le sexe, la déroute mais aussi l’amour et la poésie. Son écriture est imbibée d’alcool, de douceur, de désespoir, de révolte et de passion.

Entre réalités et fantasmagories, mensonges, vérités, divagation et abus d'alcool Charles Bukowski est infecte, détestable, ignoble, exécrable mais délicieusement jubilatoire. Il décrit une Amérique profonde en pleine crise et balance la baise dans la misère et la folie sociale. Bukowski est aussi un juste visionnaire : il dénonce le capitalisme vicieux, le pouvoir pervers du gouvernement et l’abrutissement du conformisme ambiant. Bukowski agit et pense seul, il a une lucidité incroyable du monde et de lui-même. Bukowski c’est « de la réalité mise en scène », comme il le dit lui-même.

Bukowski est addictif, comme peut l’être la boisson, la drogue ou l’amour. Il nous parle de la vie dans tous ses états, il l’a retourne dans tous les sens, il fou un joyeux bordel dans l’existence humaine avec ses pensées piquées à vif. Il dézingue les habitudes, il brouille les codes sociaux et il se fiche de la bienséance. C’est homme inspire l’admiration malgré sa misogynie, son mépris de la société et des hommes, malgré son intolérance désinvolte et ses excès.

Bukowski peut-être écœurant pour certain et bandant pour d’autres. Je fais partie de la deuxième catégorie. Lire Bukowski nous fait redouvrir la vie avec sa misère, ses plaies, ses jouissances et son absurdité.

Plus simplement on pourrait dire que Bukowski c’est : du cul, du cul et du cul ! Car il aime la chair, les nichons, la branlette. Il parle de son chibre comme s’il parlé de son animal de compagnie. Bukowski c’est aussi ça, le sexe sous toutes ses coutures et dans toutes les positions. Il picole, il baise, il enfourne sa bite dans des gros culs et vomis sa verve de vieux dégelasse dans toutes les villes qu’il cuve.

Enfin, avec Bukowski il faut savoir lire entre les lignes. Derrière la brutalité de son vocabulaire, l’apparence simpliste de certains passages, ce mec est un intellectuel dont la culture se mesure à son talent. Il a compris la folie de ce monde et la merde qui y est déversée. Il connait les pièges qui nous enrobent dans le système et prend un certain plaisir à assumer sa marginalité. Bukowski est décalé de l’ordinaire mais il a l’esprit ancré dans la réalité.

« Les Contes de la folie ordinaire » secouent notre conscience de lecteur et nous questionnent. Dans ces vingt tranches de vie, de rencontres, d'étreintes et de fuites vers des contrées éthyliques, Bukowski inscrit dans le temps vingt souvenirs, vingt fantasmes ou vingt élucubrations d'un désabusé qui croit plus en la profondeur de la chair qu'en celle de l'homme. La chair pour panser la solitude, l'alcool pour noyer la misère.

« Maintenant, oubliez-moi, chers lecteurs, je retourne aux putes, aux bourrins et au scotch, pendant qu'il est encore temps. Si j'y risque autant ma peau, il me paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres, qu'on nous sert enrobée de baratin sur la Liberté, la Démocratie et l'Humanité, et tout un tas de merdes. »
 

"Il n’y a rien que des mauvais ou des très mauvais gouvernements."
 
"– Et toi, tu es paranoïaque ?
– Evidemment, comme tous les gens normaux."
 
 

 

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