vendredi 4 septembre 2015

Sous le toit du monde de Bernadette Pécassou

 


 
Sous le toit du monde de Bernadette Pécassou (2013)
Genre : roman inspiré d’un fait réel

« Que l’on soit puissant ou misérable, à Katmandou ou à Paris, ou n’importe où sur cette planète, le destin est chargé de violences qui frappent au hasard et emportent les êtres humains telles des poussières au vent. »

    Bernadette Pécassou est journaliste et romancière. Elle réalise des reportages et documentaires et est l’auteur de sept romans dont celui que je présente.

    L’histoire de ce roman se situe suite au drame qui a eu lieu le soir du 1er juin 2001 au Népal : le roi du Népal est assassiné avec les siens dans son palais à Katmandou. Le massacre emporte également la princesse âgée de 20 ans, décapitée d’un seul coup de lame. Le monde entier est sous le choc et c’est une vague d’effroi qui s’abat sur le pays et sa population. En juillet 2001, un nouveau gouvernement est formé et un accord entre le gouvernement et la rébellion maoïste met un terme provisoire aux actions violentes au Népal. Mais le parti maoïste ne tarde pas à semer le trouble une nouvelle fois. Le pays se trouve dans un contexte difficile : fragilité du système économique, extrême pauvreté, illettrisme, fragmentation ethnique, fort taux de croissance démographique. Le Népal chemine durement vers un état démocratique.

C’est dans ce contexte que Bernadette Pécassou nous raconte l’histoire de Karan, un jeune français d’origine Népalaise et d’Ashmi, une jeune étudiante originaire des hautes montagnes. Leur rencontre est le point central du roman. Ashmi vient d’une famille de paysans, son père et son frère ont été tué dans leurs rizières tandis que sa mère s’est laissée mourir, ne supportant pas leurs absences… Grâce à une aide humanitaire, la jeune fille accède à l’Université et voit là l’opportunité de  fuir la misère, les violences et le travail forcé qui constituent le quotidien de son village natal. C’est une nouvelle vie qui s’offre à elle.

A l’université, Ashmi rencontre Karan, venu au Népal pour renouer avec ses origines et qui a pour ambition de fonder un journal afin d’aider son pays à combattre les injustices et les inégalités tout en instaurant une société démocratique. Pour ce faire, il souhaite former des étudiantes à devenir journaliste. Il veut combattre leur soumission et voient en elle une forme de pouvoir, d’intelligence et de noblesse. D’abord perplexe, Ashmi tente l’expérience et fais ses premiers pas à la rédaction d’un journal local. Sa venue sera critiquée, décriée, incomprise mais qu’importe, c’est avec détermination et passion que Karan et Ashmi vont travailler ensemble, pour servir la cause des femmes et bousculer les codes établis au risque de se perdre… Ashmi impressionne, elle se montre audacieuse et va enquêter sur le terrain , même novice dans ce métier, elle récolte des informations que d'autres plus aguerris n'ont pas pu avoir , remet en question des sujets fragiles tels que le statut des femmes dans la société ou la spoliation des terres durant les années de guerre.
 

Avis personnel :
Bernadette Pécassou s’est documentée sur l’histoire socio-politique du Népal, sur la place des femmes et la lutte des castes qui sévie dans le pays. Ce roman est inspiré de faits réels, ce qui rend l’histoire pertinente. Malgré des descriptions détaillées qui donnent de la longueur au récit, le recueil journalistique et l’écriture romancière nous livrent un roman appréciable et captivant. Concernant la structure du roman, nous découvrons l’histoire sous différents points de vue internes et chaque personnage nous livre des détails de son histoire personnelle mais aussi de leurs rencontres, qui offre des dialogues. L’auteure utilise un vocabulaire riche et parfois brut pour décrire la pauvreté et les émotions des personnages, ce qui donne une certaine froideur à l’histoire.  J’ai été admirative du parcours des personnages, de leurs convictions pour lutter contre les traditions et  changer le sort des femmes Népalaises. Les deux protagonistes sont complémentaires à travers leurs idées et leurs engagements. J’ai été frappé par la dureté et la misère de la vie des paysans dans l’arrière-pays. Par ailleurs, on découvre l’attraction très présente de l’alpinisme des sommets Himalayens et la face cachée du tourisme, ses dérives : les déchets entassés qui polluent les montagnes. Ce roman ouvre les consciences sur la répression de la femme et la corruption du gouvernement qui existe encore aujourd’hui au Népal et ailleurs.

Le savoir est une arme et peut donner la volonté de changer les choses. A partir de là, on ne pourra pas dire que l’on ne savait pas. Je pense que l’homme se sert parfois de l’ignorance pour feindre son devoir d’homme : celui d’agir contre l’injustice et la déshumanité qui l’entoure. Je ne dis pas de révolutionner le monde ou de changer les lois : c’est utopiste à ce niveau mais d’amoindrir chaque injustice qu’il rencontre autant qu’il le peut. Nous ne sommes pas des super-héros et ne pouvons être partout pour tout le monde. Agir sur soi et sa pensée est déjà un travail majeur à accomplir. Les médias et les cultes ne vous donneront pas cette lucidité.

Quelques citations :

« Les étudiantes qu’il avait rencontrées seraient selon lui les plus fiables parce qu’elles ne viennent pas des castes élevées. Elles ont quitté leurs villages et leurs familles, ont poursuivi et terminé leurs études dans des conditions extrêmes et surtout parce qu’elles sont déconnectées de tout réseaux. Le pays a besoin d’intelligences libres » P 81

« Sur ces pentes arides où soufflent des vents de glace, l’homme n’a aucun répit. Il ne connaît que la lutte et la peur. Peur des pluies diluviennes et des coulées de boue qui emportent les rizières et les sentiers si difficilement construits au flanc des montagnes, peur des froids mortels, peur des maladies qui surgissent d’un coup et se propagent emportant des familles entières et même des villages. Peur de ne pas avoir assez de riz pour tenir jusqu’à la prochaine récolte. La lutte est millénaire et incessante. » P 107

« Aujourd’hui, contre tout, contre le salut de son âme et contre les souvenirs, contre les siens, contre les traditions et la morale qui lui commandent de rester et de faire le sacrifice de sa vie, elle choisit de partir et de sauver sa peau. »  P 155
 
Interview de l'auteur à propos de l'œuvre :
 

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